RESSOURCES
Le REF met à disposition sur son site des publications,
rapports et autres ressources utiles pour comprendre
les dynamiques de l’espace euro-méditerranéen.
Le REF met à disposition sur son site des publications,
rapports et autres ressources utiles pour comprendre
les dynamiques de l’espace euro-méditerranéen.
Auteur : Marc MERCIER
Mes mains trépignent. Je les libère. Elles applaudissent, saluent, ovationnent le nouveau président du REF Karim TOUCHE, délégué général adjoint de la Ligue de l’Enseignement 13. Acteur du social, en succédant à un représentant du champ culturel, son élection confirme que notre réseau est à la croisée de chemins d’une grande diversité, incluant aussi bien l’action syndicale, la recherche, l’art, l’écologie, l’éducation, les droits humains…
Nous serions en droit de nous demander si la Méditerranée est bréhaigne de bonnes nouvelles tant ses flots ont encore et encore cet été ensevelis des corps (1161 depuis janvier) de femmes, hommes et enfants rejetés par une Europe à la sensibilité sélective.
Alors, quand soudain, il en arrive une bonne, notre vague à l’âme quasi chronique peut sans vergogne se transformer en tempête de joie : le poète gazaoui Ashraf Fayad, détenu arbitrairement depuis janvier 2014 dans une prison saoudienne, vient enfin d’être libéré en cette fin du mois d’août.
Il fut condamné à mort le 17 novembre 2015 pour « apostasie » poétique, avant que sa peine ne soit réduite, le 2 février 2016, par la cour d’appel d’Abha (Arabie saoudite), à huit années de prison ferme – ayant pris fin en octobre dernier – et huit cents coups de fouet. C’est dire qu’il faut reconnaître aux tyrans une qualité : ils savent mesurer la puissance subversive de la parole poétique qui ne s’adresse pas seulement à la raison mais aussi au cœur des humains, nous rappelant que émotion et émeute ont la même racine.
Certes, la liste des détenu-e-s arbitraires sur le pourtour méditerranéen est très longue et nous pourrions être tentés d’accoler un bémol à nos hymnes à la joie. Il n’en sera rien. Cela emballerait trop les moulins à désespérances que sont les gestionnaires politiciens de nos destinées. Un poète libéré grâce à une mobilisation internationale des sociétés civiles doit nous faire espérer que bientôt nous aurons tous loisir à écouter inlassablement « le rire innombrable des vagues » (Eschyle) de notre Méditerranée enfin apaisée.
Des raisons d’avoir le cœur désarroyé, arpentant les rives de notre mer commune, il n’en manque pas. Il y a même canicule de désarrois, incendies de rages estivales, ne serait-ce qu’en Tunisie où les défenseurs des droits humains sont harcelés car jugés trop fidèles aux idéaux démocratiques des premières heures de la révolution. Ils luttent pour que l’État n’enterre pas dans leurs bouches la parole des assoiffés de liberté. Certains membres du REF en savent tragiquement quelque chose. Evoquant le combat acharné pour le respect des droits humains en Tunisie, il est impossible de ne pas avoir une pensée chaleureuse pour Tarek Ben Hiba, qui fut durant des années un des piliers de la Fédération FTCR et co-fondateur du REF, décédé en juin dernier.
Je pense aussi à Gaza où par prévention (le cynisme est à son comble) d’une éventuelle attaque dite terroriste, l’armée israélienne a dégorgé à nouveau un feu de haine qui n’épargna ni femmes ni enfants. Quelques soubresauts de compassion émis ici ou là, avec parcimonie, pour ne pas irriter le partenaire colonisateur mais néanmoins privilégié des occidentaux au Moyen-Orient. A Marseille, des organisations de la société civile apprenant que la Mairie envisage un jumelage avec Kiev, n’étant pas adeptes de la religion deux poids deux mesures, réclament avec force un jumelage avec Gaza. Que maudites soient les guerres !
Les actions symboliques ne sont jamais vaines, surtout en ces temps hyper-médiatiques où un drame en chasse un autre. Ainsi, à l’instant où surgit un événement tragique nous l’oublions, ce qui nous épargne de l’effort de le comprendre. Toute pensée nécessite du temps, du recul, des connaissances, des observations, des écoutes, des échanges, des remises en cause des certitudes. C’est pour cela qu’une délégation du REF se rendra en octobre en Palestine (à condition de nous faufiler entre les mailles du filet des nouvelles mesures visant à restreindre l’entrée des étrangers en Cisjordanie) pour rencontrer des individus et des organisations indépendantes engagés pour qu’un peuple, qui ne demande qu’à vivre dans sa plus grande diversité, puisse disposer dignement de lui-même sans plus attendre, sans espérer le grand soir hypothétique d’une résolution politique. Ici et maintenant, malgré tout. Le prochain Cahier du REF résultera de ce voyage et devrait ainsi contribuer à dégager des réflexions qui affineront les actions solidaires internationales amplement nécessaires.
Le REF qui ne veut de mal à personne, ni même du bien (en tout cas pas à la façon de ceux qui veulent le bien d’autrui sans s’inquiéter de leurs besoins réels et de leurs demandes), a pour les mois à venir du pain sur la planche. En novembre, nous organiserons une nouvelle Rencontre Jeunesses Méditerranéennes à Beyrouth afin qu’émergent des paroles singulières sur des enjeux partagés, et mettre en place des outils adaptés.
A nouveau sera activé le dispositif FAIR (Fonds d’appui aux initiatives du REF) soutenant des actions menées conjointement par ses membres. Quatre projets ont été retenus.
Bien sûr, même si nombre d’élections ne suscitent plus guère d’enthousiasmes exacerbés, il n’en demeure pas moins qu’il est impératif que nous nous battions pour que tous les résidents étrangers puissent obtenir le droit de vote, a minima pour les élections locales. Raison pour laquelle le REF est membre du collectif « J’y suis, j’y vote ».
Ce n’est pas tout. Il faut le seriner etcætera de fois. Ici comme ailleurs, nous mesurons la qualité d’une démocratie aux conditions réelles d’existence des femmes. Il ne suffit pas de se lamenter sur leur sort en Afghanistan ou en Arabie Saoudite, si l’on n’est pas capable parallèlement de provoquer un hourvari du tonnerre pour mettre un terme aux violences qu’elles subissent ici même. Chaque année en France, quelque 220 000 femmes sont victimes de violence conjugale. Des chiffres officiels font état d’une augmentation de 20 % du nombre des féminicides survenus en 2021 (122 femmes tuées par leur conjoint ou ex conjoint). De quoi se demander si le couple hétérosexuel reproducteur n’est pas la racine du mal ? L’amour, le cache-sexe d’un système qui veut à tout prix garantir la transmission des richesses en famille comme on lave son linge sale ? Inégalités sociales éternelles ? Il nous faut être à l’écoute des débats qui enflamment en ce moment la jeunesse sur ces questions de genres et de sexualités. Il nous faut ouvrir nos oreilles de dix-sept largeurs, comme disent les Haïtiens, pour entendre toutes ces femmes qui, dans de plus en plus de pays, se soulèvent pour sauvegarder leur droit d’accès à l’avortement. C’est une question de dignité.
« Sans les fleuves de l’émoi / rien rien ne s’assemble / il nous faut le partage / il nous faut l’incendie / pour que s’amorce la source / pour que vive la vie » (Andrée Chedid).
La liberté, c’est par où ? C’est par l’art ! Prenons un temps de pause. D’abord, les yeux fermés, essayons d’imaginer le tintamarre assourdissant des explosions du port de Beyrouth en 2020. Puis, le sens dessus dessous d’un appartement situé à proximité. J’ai vu cela fin août lors de l’exposition « Polyptique » à Marseille. Image sur un tissu suspendu proposée par un couple d’artistes libanaises, Lara Tabet et Randa Mirza, intitulée : « Will you be angry at me if I keep bleeding each time ? ». C’était leur nid, dévasté. Sur le mur blanc, un tableau floral n’a pas chu.
En marge de cette photographie, nous pouvons feuilleter dans un petit album leurs errances de sans domicile fixe depuis lors : les bouquets improvisés dans leurs espaces de vie éphémères saisis à la fin de chaque séjour ici ou là. Je pense alors à ce poème persan de Rûmi (XIIIe siècle) : « Au printemps aucune fleur ne pousse sur la pierre / Deviens terre pour que des fleurs te couvrent de couleurs ».
Je comptais clore ce texte par cette allégorie florale, cet éloge de la fragilité plus forte que tout. Mais voici que j’apprends la mort de mon ami peintre et ciné-vidé-astre marocain Mohamed Aboulouakar. La mort est injuste, mais contre qui ou quoi s’encolérer ? Voici un homme pour qui la liberté d’expression ne fut jamais un slogan, mais une manière d’être quel que soit le prix à payer.
Le prochain FIAV, festival d’art vidéo de Casablanca (8 au 12 novembre 2022) lui sera dédié. Mobilisation générale des ami-e-s des arts et de la liberté. Les étoiles ont beau filer, leurs traces éclatantes impriment nos peaux devenues incandescentes. Aux arts planétoyens !
Voilà, chèr-e-s ami-e-s du REF, chère équipe qui anime avec tant d’engouement notre réseau, les quelques mots qui me sont montés en tête à l’orée d’un automne qui s’annonce socialement chaud. Nous mènerons des actions solidaires caniculaires pour faire suer tous les tyrans qui espèrent tant tarir l’espoir des Méditerranéen-ne-s. Ils se fatiguent pour rien. Les peuples malmenés sont entêtés. Ils désobéissent à la fatigue d’obéir.
« Dépêchons-nous d’œuvrer ensemble avant que ce qui nous fait converger l’un vers l’autre ne tourne inexplicablement à l’hostile » (René Char – Feuillets d’Hypnos (à Albert Camus).
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06/09/2022
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