Lettre aux député.e.s contre la résolution présentée par le député Sylvain Maillard
Contexte : des député.e.s français ont déposé une proposition de résolution approuvant la définition de l’antisémitisme dite de l’IHRA. Contestée car dangereuse pour la liberté d’expression, la définition pourrait être présentée au vote à l’Assemblée avant fin juin 2019. Le REF est signataire de cette lettre à l’initiative de Dominique Vidal et de Bertrand Heilbronn, aux député.e.s.
Une lettre des acteurs de la société civile aux députés de l’Assemblée nationale
Ne votez pas la résolution de Sylvain Maillard !
Les résultats des élections européennes l’ont confirmé : la percée nationaliste va partout de pair avec une poussée de xénophobie, de racisme et d’antisémitisme. En France aussi, cette question se pose avec gravité.
Certes, presque tous nos compatriotes voient désormais dans les Juifs « des Français comme les autres ». Mais nombre d’entre eux partagent des préjugés à leur égard. Et, année après année, on recense plusieurs centaines d’actes de violences antisémites. Pis, onze Français juifs ont été assassinés depuis 13 ans.
C’est dire que le combat contre l’antisémitisme, comme contre tous les racismes, doit être mené avec force et vigilance. Il est donc trop sérieux pour être laissé à des politiciens dont les arrière-pensées sont évidentes.
Ainsi le député LREM Sylvain Maillard. Président du groupe d’études de l’Assemblée nationale sur l’antisémitisme, il est aussi vice-président du groupe d’amitié France-Israël. Et, chez lui, cette amitié va surtout aux colons juifs de Cisjordanie : il vient de participer, le 28 mai, en compagnie des députés Meyer Habib et Claude Goasguen, à une réunion avec le président du Conseil régional de « Samarie ». Faut-il rappeler que tous les gouvernements français depuis 1967, conformément au droit international, condamnent la colonisation des territoires occupés et exigent qu’Israël s’en retire afin que puisse y voir le jour un État palestinien ?
Voilà qui éclaire les tentatives répétées de Sylvain Maillard. Le 18 février dernier, il annonce qu’il va faire voter une loi pour interdire l’antisionisme, au risque de créer ainsi un délit d’opinion dans la loi française. Dès le lendemain, le président de la République le désavoue : « Je ne pense pas que pénaliser l’antisionisme soit une bonne solution. » Et le président de l’Assemblée nationale explique : « Prendre une loi qui pourrait laisser entendre que critiquer la politique d’Israël pourrait être assimilé à un délit va poser des problèmes, (créer une) discussion interminable qui, à la fin, pourrait nuire à la juste cause qu’est la lutte contre l’antisémitisme. »
Le surlendemain, au dîner du CRIF, Emmanuel Macron annonce que la France va « appliquer » la définition de l’antisémitisme adoptée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste comme « une certaine perception des Juifs, qui peut s’exprimer comme de la haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques d’antisémitisme visent des individus juifs ou non juifs ou/et leurs biens, des institutions et des lieux de culte juifs ».
À cette définition indigente s’ajoute une série d’« exemples », présentés comme des « illustrations ». L’un d’entre eux estime notamment que « l’antisémitisme peut se manifester par des attaques à l’encontre de l’État d’Israël lorsqu’il est perçu comme une collectivité juive. Cependant, critiquer Israël comme on critiquerait tout autre État ne peut pas être considéré comme de l’antisémitisme. » Mais quel autre État occupe et colonise depuis plus de cinquante ans des territoires conquis par la force, en violation d’innombrables résolutions de l’ONU ?
Sylvain Maillard ne se résigne pas. Sorti de l’Assemblée par la grande porte, son projet revient le 26 mai par une petite fenêtre comme une proposition de résolution « visant à lutter contre l’antisémitisme », soumise au vote des députés. Au-delà d’un exposé des motifs très contestable dans lequel l’accroissement des actes antisémites est mis sur le compte de « l’antisionisme », l’article unique de cette proposition de résolution vise à faire la promotion de la « définition » de l’IHRA qu’il « approuve sans réserve » !..
Prévu le 29 mai, le débat sur ce texte a été reporté. Raison de plus pour y réfléchir à deux fois. Même sous forme d’une résolution sans valeur contraignante, les députés français ne doivent pas la voter : sous couvert de lutte contre l’antisémitisme, elle ne vise en fait qu’à limiter la capacité de critiquer la politique israélienne, et à soutenir la politique de la droite et de l’extrême droite israéliennes incarnées par Benyamin Netanyahou.
La lutte sincère contre l’antisémitisme et le racisme sous toutes ses formes mérite mieux que ces manœuvres indignes. Nous n’acceptons pas que ce juste combat soit détourné au service de la politique de l’État d’Israël, qui viole tous les jours le droit international et les droits de l’Homme, qui poursuit et accélère sa politique de colonisation, et qui a fait adopter en juillet 2018, dans sa loi fondamentale, des conceptions ouvertement racistes, suprémacistes et discriminatoires.